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Tunisie-Ettounissia TV, la chaîne à abattre

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Après l’émission des guignols interdits d’antenne, Sami Fehri, le directeur d’Ettounissia TV contre lequel un mandat d’arrêt a été prononcé, va se rendre à la justice d’après une déclaration vidéo. Quel sera l’avenir de sa chaîne, une des plus regardée du pays?

Au siège administratif de a chaîne, la rédactrice en chef Houyem Laajimi est sereine et martèle qu’elle n’a pas peur. Chaque matin, elle passe devant des voitures de police en civil qui guettent l’éventuel retour du directeur ou font pression de loin sur le personnel de la chaîne. Depuis le 24 août 2012, un mandat de dépôt a été émis à l’encontre de Sami Fehri. Il est poursuivi pour préjudices financiers causés à la Télévision Nationale à l’époque du Régime Ben Ali. Directeur d’une agence de production, Cactus Prod, qui signait des contrats avec la Télévision Nationale, il en était aussi actionnaire aux côtés du frère de la femme du dictateur déchu, Belhassen Trabelsi. Le dossier judiciaire l’accuse de «complicité» dans des détournements de fond et autres contentieux. Sami Fehri n’est certes pas l’homme le plus aimé de Tunisie mais son cas reste illustratif d’un étau qui se resserre autour des médias tunisiens depuis quelques mois. Si la mainmise avait commencé sur les médias publics, ce sont aujourd’hui les «médias qui dérangent» comme le déclare Houyem Laajimi, les principaux visés.

Dans les locaux de la chaîne le 29 août, certains regardent encore les guignols/Crédits photos Amine Boufaied

La poursuite judiciaire entamée récemment contre le directeur de la chaîne est en effet entaché de vices de procédure qui laissent à penser que la justice n’a pas été indépendante sur ce cas. Comme le signale l’avocate de Samir Fehri, Sonia Dahmani en charge de son dossier depuis la révolution,

«c’est une procédure de mandat de dépôt qui s’est faite en 24 heures sans que nous ayons eu connaissance des conclusions du Ministère public sur l’affaire, violant ainsi l’article 114 du code de procédure pénale. De plus, le dossier fait 3000 pages sans compter le rapport du juge d’instruction qui en fait 1200, comment le président d’accusation a-t-il pu s’informer d’un tel dossier en moins de 24 heures?»

Tout laisse à croire que cette focalisation soudaine sur le directeur de la chaîne dans une affaire qui dure depuis plus de treize mois et où onze autres personnes sont mises en cause, n’est pas innocente. Le mandat de dépôt intervient après l’arrêt une semaine avant d’une émission à grand succès, Logic siyessi, (Logique politique), les guignols tunisiens. Ayant subi des pressions indirectes du gouvernement, les producteurs ont préféré mettre un terme à une émission à grand succès.

«On nous avait prévenu dès le départ, critiquez qui vous voulez mais ne touchez pas à Ghannouchi» souligne Hayem Laajimi.

Sami Fehri quant à lu n’avait pas manqué de déclarer sur la radio Express FM que c’était Lotfi Zitoun, actuel conseiller auprès du Premier Ministre en charge de l’information, qui l’avait contacté pour exprimer son mécontentement sur le contenu diffusé. Ses propos ont été démentis par Lotfi Zitoun. Une des émissions avait repris une chanson de rap Sayeb ellaaba (légalisez le cannabis), en la transformant en Sayeb ennahdha (Laissez tomber Ennahdha) se moquant de ceux qui n’acceptent pas que l’on critique le parti au pouvoir. La chanson, chantée parles marionnettes de Rached Ghannouchi, leader du parti, Hamadi Jebali, premier ministre, et un barbu se moque des thuriféraires du régime. (voir vidéo ci-dessous)

Pourtant, dans les locaux de la chaîne, chacun continue son travail au quotidien et tente de rester calme face aux menaces qui pèsent sur cette chaîne de télévision devenue en moins d’un an, la plus regardée du pays. Le 29 juillet, selon les chiffres d’audience délivrés par l’agence Sigma Conseil au début du ramadan 2012, Ettounissia TV était la plus regardée avec un taux d’audience de 45,9% contre Nessma (37,8%) et Hannibal (21%). Forte d’émissions grand public comme Labess, sorte de talk-show à l’américaine et de nombreux programmes de divertissement comme la caméra cachée, la chaîne Ettounissia TV avait conquis le public tunisien.

«Ce qui est incroyable, c’est que nous n’avons jamais été parti-pris depuis la révolution. Ceux qui exercent des pressions sur nous actuellement sont venus sur nos plateaux avant les élections, tout comme les gens de l’opposition, les niqabées de la Manouba, les salafistes. Nous avons toujours tenté de rester neutres sur notre ligne éditoriale.» ajoute Hayem Laajimi.

Aujourd’hui, la rédactrice en chef déclare que l’ensemble de l’équipe, près de cent personnes, reste soudée mais que «certains commencent à avoir peur. Si Samir Fehri va en prison, nous ne savons pas ce qu’il adviendra de la chaîne.» Outre la censure indirecte des guignols, la chaîne est victime de pressions physiques et morales. Après la publication des résultats d’audience, elle avait subi une descente en règle de la douane dont la méthode d’action avait été quelque peu douteuse : «Ils sont arrivés sans prévenir et armés, mais surtout ils sont allés voir nos annonceurs, ce qui ne se fait pas habituellement dans la procédure normale.»

Le 26 août, un caméraman d’Ettounissia TV, Selim Trabelsi a été passé à tabac par des inconnus près de chez lui. L’un d’eux lui aurait dit, «On vous aura tous un par un.» visant directement le personnel d’Ettounissia TV. Pour la rédactrice en chef de la chaîne, c’est aujourd’hui la désillusion

«on a cru que les médias pouvaient être libres mais là, quand la loi est autant bafouée, cela fait vraiment peur, même sous Ben Ali, ce n’était pas aussi explicite. On veut vraiment faire disparaître cette chaîne.»

Il faut signaler qu’une autre version des faits a été pourtant donnée par le site du Monde.fr montrant la concurrence qu’il y a avait aussi sur l’émission des marionnettes pour laquelle, deux chaînes de télévision Nessma TV et Ettounissia TV se disputent l’exclusivité. L’arrêt de l’émission aurait pu être causé par un procès mettant en cause la société française Zig Zag qui a vendu les marionnettes aux deux chaînes. Cactus prod l’aurait poursuivi en justice pour avoir vendu les mêmes produits à deux chaînes différentes. Le 24 août, le Tribunal de Première Instance de Tunis a donné raison à Sami Fehri. Cela n’évacue pourtant pas la thèse d’une pression politique autour de la chaîne comme le montre les autres faits et le contexte actuel, d’un gouvernement qui continue une politique de mainmise sur les médias via des nominations arbitraires dans les organes publics.

Le bureau de Reporters Sans frontières a dénoncé la procédure judiciaire dans un communiqué et le CPJ (Comitte to Protect Journalists) a aussi pris position. Le directeur Joel Simmons a écrit noir sur blanc «que le timing de l’arrestation donnait des raisons pour croire qu’il y a des motivations politiques derrière.»
Sami Fehri, directeur de la chaîne, a quant à lui clamé son innocence dans une vidéo diffusée mercredi 29 août sur Ettounissia TV et les réseaux sociaux où il dit se rendre à la justice et avoir été «opprimé» par une procédure judicaire irrégulière. Il nie les allégations sur son enrichissement aux dépends de la chaîne nationale mais parle aussi des pressions qui menacent la chaîne Ettounissia TV et la liberté d’expression en Tunisie :

«Pour ceux qui disent que le gouvernement n’a jamais fait de pression sur Ettounsia, et ben là j’ai des exemples qui prouvent le contraire, les déclarations du ministre de la santé concernant les guignols, les déclarations de monsieur Selim Ben Hmidane, les déclarations de Hamadi Jebali, l’affaire des douanes, les annonceurs à qui on a demandé de ne plus diffuser leurs publicité sur Ettounisia.»

Il s’excuse aussi pour son passé d’avant le 14 janvier :

«Je remercie toutes les personnes qui m’ont soutenu, et pour ceux qui ont été déçu par ce que j’ai fait le soir du 13 Janvier, je leur dit que je n’avais pas de mauvaise intentions derrière, je ne l’ai pas fait exprès, je le regrette. Mais j’ai essayé de me rattraper après le 14 Janvier en étant indépendant et sans me pencher vers un côté comme à l’autre.

Aujourd’hui, Sami Fehri risque dix ans de prison. Ses avocats envisagent un recours en Cour de cassation, quant à l’équipe d’Ettounissia TV, son avenir reste incertain puis les 51% détenus par Belhassen Trabelsi ont été confisqués par l’Etat et placés sous administration judiciaire. «C’est le produit de Sami Fehri et Cactus prod est sous administration judiciaire, nous ne savons pas encore ce que nous allons faire, j’espère que le gouvernement n’osera pas interférer encore plus, en allant jusqu’à nommer un nouveau directeur, sinon c’est la fin.» conclue Hayem Laajimi.

Lilia Blaise


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